Thèse de Nicole Ke Chen Pong

Interagir en l'absence de signifiants : le cas des swhidgets

Le cas d'un utilisateur confronté à une interface qui ne l'informe pas d'une possibilité d'interaction au moment où il en a besoin est un problème fondamental d'IHM. La présence de telles possibilités d'interaction "non-signalées" est fréquente dans les interfaces homme-machine modernes et potentiellement problématique, rendant nécessaire l'étude des interfaces et techniques d'interaction dites "sans signifiants". Un exemple de conception "sans signifiants" moderne est ce que j'appelle un "swhidget" pour "SWIpe-revealed HIDden WIDGET": un composant d'interface normalement caché sous les bords de l'écran ou sous un autre objet, pouvant être révélé en le tirant à l'aide d'un geste de balayage selon une métaphore de manipulation physique. Les swhidgets sont des composants importants des interfaces de téléphones et tablettes à écran tactile, et sont la principale conception "sans signifiant" étudiée dans cette thèse. En présence d'une conception sans signifiant, les utilisateurs peuvent être confus quant à ce qu'ils doivent faire pour atteindre leur but, ou être réduits à utiliser des méthodes sous-optimales parce qu'ils ne sont pas conscients de l'existence de meilleures alternatives. Il est donc généralement recommandé d'éviter de concevoir des interfaces sans signifiants. De telles interfaces sont pourtant courantes bien que les concepteurs soient conscient des problèmes qu'elles causent. Elles méritent donc une analyse plus approfondie, au delà du simple conseil de les éviter. En effet, il pourrait y avoir de bonnes raisons de concevoir des interfaces sans signifiants, qu'elles aient des qualités difficiles à mettre en évidence en l'état actuel de notre compréhension ou qu'il soit simplement impossible de les éviter. Dans cette thèse, j'analyse les raisons pouvant inciter à la conception d'interfaces qui n'exposent pas clairement les possibilités d'interaction qu'elles offrent, en prenant les swhidgets comme objet d'étude principal. Pour cette étude initiale des swhidgets, je me concentre sur les points suivants : que sont les conceptions sans signifiants et quels aspects des swhidgets leur sont propres ? Les utilisateurs connaissent-ils les swhidgets de leurs systèmes ? Comment les ont-ils connus malgré l'absence de signifiants ? Quels avantages y a-t-il à ne pas avoir de signifiants ? Les contributions de cette thèse sur ces points sont : - Une définition des conceptions sans signifiants basée sur des observations de telles conceptions dans des interfaces. - Une analyse des notions fondamentales requises pour la définition des conceptions sans signifiants: affordances, signifiants et sémiotique. - Un modèle de la découverte et adoption par les utilisateurs de techniques d'interaction en général, reposant sur trois dimensions et leurs relations: les compétences et connaissances actuelles des utilisateurs, leur motivations, et les moyens par lesquels une interface peut informer ses utilisateurs. - Les notions de degré de connaissance et de source de connaissance, dérivées de ce modèle, qui permettent d'évaluer expérimentalement à quel point les utilisateurs connaissent une technique d'interaction et comment ils l'ont découverte. - La conception et les résultats de deux expériences sur les swhidgets d'iOS pour évaluer la connaissance qu'en ont les utilisateurs, comment ils les ont découvert, leurs éventuelles raisons de ne pas les utiliser, comment ils les perçoivent globalement et les intègrent dans leur façon de penser l'interaction. Ces études montrent que les swhidgets sont globalement appréciés et relativement bien connus, tout en laissant de la place pour des améliorations, surtout pour certains swhidgets. Cette thèse ouvre des perspectives concernant le transfert de connaissances entre applications, la pertinence du concept d'expérience utilisateur pour la compréhension des swhidgets, et la possibilité de favoriser leur découverte lors de transitions animées entre vues.

Jury

M. Stéphane HUOT Inria Lille Directeur de thèse M. Sylvain MALACRIA Inria Lille Examinateur Mme Caroline APPERT CNRS Examinatrice M. Laurent GRISONI Université de Lille Examinateur Mme Nadine COUTURE École Supérieure des Technologies Industrielles Avancées (ESTIA) Rapporteure M. Kris LUYTEN Hasselt University Rapporteur M. Nicolas ROUSSEL Inria Bordeaux Invité

Thèse de l'équipe Loki soutenue le 21/10/2020